vendredi 26 août 2011

On parle de nous dans la presse : Le Monde du 26/08/11

REPORTAGE DU MONDE
Un préservatif sur une banane en plastique
Article paru dans l'édition du 26.08.11

De quoi allons-nous parler ? », demande, innocent, David Chamalet, le meneur de jeu. Les lycéennes et lycéens de seconde réunis en cette journée du printemps 2011 dans une salle du lycée Claude Monet, à Paris, connaissent la réponse. Mais elle ne sort pas. La pièce, plus précisément le « débat théâtral », qui commence s'appelle Pas si simple... mais pas si compliqué non plus. David réitère sa question. « Les relations ? », suggère un filet de voix féminine. « Quel genre de relations ? » Une autre voix, masculine : « Les relations sex... » Vertige du silence. L'animateur regarde sa montre - « une minute et sept secondes ! » -, puis il lance une musique fracassante. Deux comédiens, un garçon et une fille, apparaissent. Marchant l'un vers l'autre, ils se détournent au dernier quart de seconde, s'élancent à nouveau, s'arrêtent, font des mines, courent... et jamais ne se rencontrent.

Le meneur de jeu reprend la parole, expliquant que la compagnie, dénommée Entrées de jeu, « se sert du théâtre comme d'un outil ». Ce travail s'inspire du Théâtre de l'Opprimé, créé dans les années 1970 par le Brésilien Augusto Boal. Dirigée par Bernard Grosjean, la compagnie affiche à son catalogue une dizaine de thèmes : drogue, alcool, violence, absentéisme, suicide, etc. David expose les règles de la séance. Dix scènes de quelques minutes vont se succéder, présentant autant de situations jouées par un couple d'acteurs. « Ensuite, on rejoue les scènes que vous choisissez, et vous intervenez. Contrairement à ce qui se passe dans la vie, on peut essayer sans risque ! » La méthode consiste à faire improviser les comédiens dans la direction donnée par le spectateur.

« C'est comme ça que tu t'habilles ? » La première scène illustre un machisme caricatural mais vraisemblable. La fille se défend : « Je me suis toujours habillée comme ça. » Le garçon : « Mais maintenant, t'es avec moi, c'est différent ! » L'assistance accroche, les scènes s'enchaînent sur un rythme enlevé. Celle du basketteur qui n'a pas une minute à consacrer à sa copine. Celle de la crise de jalousie. Celle du copain qui a « écrit sur son profil qu'il était gay »... La bonne humeur se mue en nouveau silence lorsque, les scènes terminées, le meneur de jeu s'enquiert des souhaits de l'assistance. Puis le basketteur et sa copine réapparaissent. « On peut se voir ? Ben non, j'ai un match... » Cette fois, un lycéen lève la main. « On l'applaudit, c'est le premier ! » Rejoint sur scène par une élève, il rejoue le dialogue. Il ne renonce pas à son match, mais la fille, condescendante, « l'autorise » à y aller. Résultat : les acteurs qui, après chaque dialogue, composent un tableau muet, le représentent tenu en laisse. La discussion roule sur le comportement des deux protagonistes. Une demi-heure plus tard, au fil des scènes, elle porte sans détours sur des enjeux plus intimes, mais toujours distanciés par le jeu théâtral. Après une séance de cinéma, la fille peut-elle se dérober au garçon, indigné qu'elle l'ait « chauffé toute la journée » ? Et que faire dans une stressante histoire d'infidélité et de préservatif cassé ? Le meneur de jeu dispense des informations précises.

Au fait, comment proposer le préservatif sans « casser l'ambiance » ? Et comment le mettre ? Sur scène, sans inhibition, sans provoquer de gêne, une lycéenne enfile triomphalement un vrai préservatif sur une banane en plastique. Musique.
Luc Cédelle

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